Les deux dernières heures

Illustrations
Love
50 x 65

Depuis lundi, l’appartement est vide et depuis lundi, je viens tous les jours ici. Chaque jour, je nettoie tranquillement, sans me presser. Lundi, j’ai commencé par aspirer la poussière. Puis j’ai lavé les portes, avec le côté doux de l’éponge. J’ai fait disparaître les traces, ces traînées noires laissées autour des poignées, là où on les attrape, on les tire, on les pousse. Mardi j’ai continué avec les toilettes et la salle de bain. Je redécouvrais les plaintes jusqu’alors bien cachées derrières les meubles, le lave-linge, et assise par terre munie d’une brosse à dents, je réussissais à leur rendre un éclat disparu depuis fort longtemps. Mercredi j’ai passé un certain temps à nettoyer le frigo et le lave vaisselle qui resteraient là. Puis le plan de travail que j’avais construit avec Alain, sur mesure. Jeudi je m’attaquai aux fenêtres, de grandes fenêtres qui me donnèrent l’occasion de voir la cuisine d’en haut. Et je pris mon temps, j’étais bien là-haut. Je compris pourquoi ces hauts plafonds, ces grands volumes, étaient particulièrement appréciés. La perspective à laquelle j’accédai était étourdissante : la profondeur de la pièce était si grande que j’imaginais déjà devoir faire des paliers de décompression pour atteindre le sol sans danger, une fois le travail accompli.
Depuis lundi, j’ai pris mon temps donc; tous ces gestes répétés, comme pour saluer ces murs solides et ces sols anciens qui m’ont abritée ces deux dernières années.
Alors vendredi, j’ai lessivé le sol et ce fut la fin. L’ultime exploration de cette maison particulière prit fin en un instant. Un instant, deux heures, dédiées à l’observation de cette salle de bain vide. Ainsi j’emportais avec moi l’empreinte, plus qu’un souvenir, d’une rencontre délicate et sincère qui dura deux années. Cet appartement fut le complice intime de mon épanouissement. Sous sa protection, et le stylo en main, je pus m’abandonner à l’observation pure, me soustraire au temps et à la nécessité, et seulement dessiner.

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