Écrits, citations, réflexions

Écrits, Grands Formats, Humains

En tant qu’artiste, je dois écrire. Sur ma démarche, pourquoi dessiner des espaces témoins de l’humain ? Pourquoi un stylo noir ? Pourquoi…

Quand je dessine, j’entends. J’entends et j’écoute. Et j’ai besoin d’apprendre. Alors j’écoute la radio, des podcasts choisis, et je m’éveille. J’apprends sur les grands artistes, leurs vies, leurs préoccupations. J’apprends sur les grands philosophes, leurs questionnements, leurs travaux. J’apprends sur la psychanalyse, la psychiatrie, la psychologie. Et j’aime les émissions qui croisent ces thématiques. Quand je découvre une personne qui me parle, alors je creuse, je cherche, je lis, j’écoute, encore et encore, parfois le même podcast pour ingérer et non seulement renifler toutes ces nouvelles informations. Pour me reposer j’intercale dans mes journées quelque podcast sur la musique, l’histoire, et le meilleur, selon mon goût, mélange ces deux derniers thèmes ; Jukebox sur France Culture est une excellente émission qui choisit des sujets parfois extrêmement classiques et qui les traite de façon étonnante, ou bien qui propose des événements qui me sont inconnus et lointains, et qui finissent par me captiver.  

J’écris cet article aujourd’hui parce qu’il est temps de noter, d’organiser, de retenir, d’écrire. Et je commence par Louise Bourgeois puisque je m’intéresse à cette dame depuis quelques temps. 

Dimanche 24 novembre

   Archive de 1999 de la voix de Louise B. entendue dans l’émission La Compagnie des Œuvres : « C’est vraiment c’qui m’intéresse le plus, c’est-à-dire le travail que je fais aujourd’hui et le travail qui doit être fait pour demain. C’est ça qui occupe mes pensées, ce ne sont pas tellement les souvenirs; mais les souvenirs vous importunent, c’est un chargement dont il faut se débarrasser, on ne peut pas vivre de souvenirs.

[…] les sculptures c’est vraiment la seule chose qui me libère, c’est-à-dire c’est une réalité plus grande, c’est une réalité tangible. »

Jean Frémon réagit et commente sur ce qui le frappe dans cet interview de Monette Berthommier de 1999 : « inventer des choses réelles, inventer des choses dans lesquelles elle est ».

J’ai dessiné ma cuisine récemment. Lors d’une urgence, décrire en grand, décrire en détail, être à l’abri, prendre le temps. Commencer un grand projet, cela m’assure le confort, le repos pour quelques jours, rien à prévoir, rien à penser. Seulement m’installer dans ma cuisine et dessiner, créer. J’ai décrit plus de 360° d’espace sur deux rouleaux de 75 x 93,5 cm. Et quand j’entends les mots de Louise B., je me dis que je n’ai pas besoin d’expliquer pourquoi je dessine puisqu’elle l’a déjà fait : « les sculptures c’est vraiment la seule chose qui me libère, c’est-à-dire c’est une réalité plus grande, c’est une réalité tangible ». Nous n’avons pas du tout la même histoire, mais nous avons quelque chose en commun, l’urgence de créer pour se libérer du poids du passé. Ainsi, mon tour de cuisine s’est fini dans une euphorie, une joie intense, un sentiment de triomphe et de justesse : j’ai pris la liberté de courber l’espace volontairement, consciemment, avec défiance et provocation, et j’en ai tiré un sentiment de puissance légitime. Je parle de ma propre vie, je parle d’une réappropriation de mes droits. Ce trait qui a duré, ce trait long et insolent, c’est mon trait ; et la beauté de ce geste réside dans ces deux affirmations : je suis libre et tu reconnais quand même ma cuisine.

Et l’histoire est bien plus forte encore : tu la reconnais cette cuisine, elle est là, déformée donc plus réelle que jamais. Tu sais qu’elle existe, tu sais que je l’ai observée, tu es donc dans ma cuisine, tu es moi. Lorsque tu la regardes, tu t’installes dans mon cœur, dans mon œil, dans ma main. Tu as mal aux fesses, tu sais à quel point ce fut inconfortable de l’observer d’en haut, tu as mal aux jambes et aux abdominaux parce que l’escabeau qui servait à poser la planche à dessin glissait insidieusement, s’éloignait lentement, alors que tu étais concentrée à consigner tous ces détails, à comprendre si le plafond doit descendre ou monter. Et tu te souviens aussi de la tristesse qui pointait à l’idée de finir un jour ce tour d’horizon, de devoir descendre de ce double tabouret fabriqué pour l’occasion, bancal, dangereux, complice…

« On ne peut pas arrêter le présent. Il faut simplement abandonner chaque jour son passé. Et l’accepter. Si on ne peut pas l’accepter, alors il faut faire de la sculpture ! Vous voyez, il faut faire quelque chose. Si ce dont on a besoin, c’est un refus d’abandonner le passé, alors il faut le recréer. C’est ce que j’ai fait. » Louise B. 

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